Suite aux déclarations et aux annonces de M. Edouard Philippe ce jour, Plus Jamais Ca (PJC) et l’Association des Familles Victimes de Féminicides (AFVF) tenions à partager nos réflexions.
Nous commencerons par passer en revue les quelques mesures phares annoncées sur les quarante existantes.
LE SUIVI ET PRISE EN CHARGE DES AUTEURS.
Il est prévu pour les auteurs de violences de créer des centres d’hébergement dédiés par région. Deux par région précisément. Cela permettrait d’éloigner le conjoint violent le temps de la procédure. Il y serait pratiqué des évaluations médico-psychosociales, soins etc… Le conditionnel est de mise puisqu’on nous dit que dans un 1er temps, ce sera fait à titre expérimental ! Pourquoi ? Avons-nous le temps ? Et l’on parle d’appels à projets : la concrétisation n’est donc pas pour demain ….M. Philippe nous dit à cet égard que « ce devrait être à l’auteur des violences de ( quitter le domicile) , pas à sa victime » Est-ce une réflexion nouvelle pour nous ? Non ! Mais à quoi servent ces mots quand on connaît la pénurie de solutions, la réalité du terrain et des moyens, la lenteur des décisions ? La question du financement n’a pas été abordée.
ACCUEIL EN COMMISSARIATS ET GENDARMERIES.
On annonce 80 postes de travailleurs sociaux supplémentaires pour intervenir dans les commissariats et les gendarmeries. Pense-t-on réellement que cela soit suffisant à l’échelle du pays ? C’est une blague ? On verra un peu plus bas qu’il a été demandé de nombreux efforts aux enseignants mais dans son discours, Philippe a étrangement passé sous silence tous les dysfonctionnements au niveau de la formation des gendarmes et policiers à la prise en charge des femmes violentées. On ne prévoit pas de budget alloué à la formation de ceux-ci. A la place, une « grille d’évaluation des dangers » censée permettre d’apprécier la situation. Notre association ne cesse de recevoir des témoignages de femmes anéanties par l’accueil qui leur est réservé. On nous rapporte des phrases terribles, du mépris, de la moquerie même , du machisme évident et le pire, la mise en doute de leurs « allégations ». Combien sont-elles à avoir entendu « Ne dramatisez pas madame, rentrez chez vous ». Combien sont-elles à être rentrées chez elles pour y être assassinées ? Il aurait été important et respectueux de ne pas oublier de mentionner ça autant que les dépôts de plaintes refusés, et les cas, encore très récemment où les gendarmes ne se déplacent pas….On rappellera par ailleurs le chiffre de 80% de plaintes classées sans suites. Les plaintes ont été déposées, les mesures pas prises et pas à la hauteur.
AUTORITE PARENTALE.
Un juge pénal pourrait suspendre l’autorité parentale en cas de violences alors que jusque là, seul le juge aux affaires familiales pouvait se prononcer. Mais on apprend que cette déchéance des droits parentaux interviendra lorsque des « circonstances aggravantes » seront avérées, comme par exemple dans le cas où le harcèlement de l’auteur des violences aurait conduit au suicide ! Il faudra donc que la femme soit tuée pour que le père perde l’autorité parentale. Et là, on respire profondément tant on est glacées. Ceci est donc considéré comme des mesures finales mais qu’en-est-il de toutes les mesures intermédiaires à prendre ? Les mesures d’éloignement tant qu’il en est encore temps ? La protection de la mère et des enfants ? On rappelle que la France a d’ailleurs été rappelée à l’ordre ce 19 novembre, dans le 1er rapport du GREVIO ( Groupes d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique) : «Il faudrait fonder les politiques et les pratiques en la matière sur la reconnaissance du fait que, dans un contexte de violences conjugales, l’exercice conjoint de la parentalité se prête à être le moyen pour l’agresseur de continuer à maintenir l’emprise et la domination sur la mère et ses enfants. » Et, dans le cas tragique où la femme est tuée (ou se tue) quid des enfants ? Le tueur est déchu de son droit parental et qui prend soin des enfants ? Quand on sait à quel point le parcours d’accueil des enfants est sordide en France, à quel point là aussi, le manque de moyens et de volonté politique atteint des sommets, quand on sait que pour toujours, la vie de ces enfants sera marquée par le drame, comment ne pas voir au-delà de ces décisions sur le papier, une réalité toute autre ? Là encore, avant même la mise en place de ces mesures, les dysfonctionnements sont déjà annoncés ! M.Philippe a alors parlé de « changement de paradigme » destiné à sortir « d’une vision un peu patrimoniale (comprenez basée sur le partage des droits entre père et mère, le favoriser) de l’autorité parentale ». Que de mots aseptisés, de choix de vocabulaire par rapport à une réalité beaucoup plus cash et implacable. « Un peu » dit-il ? Bien plus que ça.
ASSOUPLISSEMENT DU SECRET MEDICAL.
Sujet délicat. Permettre aux professionnels de santé de signaler une situation de violence au sein du couple ; le problème majeur étant que ce signalement pourrait se faire sans l’accord de la patiente, à son insu.
A ce propos, le médecin Gilles Lazimi a déclaré à FranceInfo : « on déplace la responsabilité des féminicides et des violences faites aux femmes sur les médecins, pour empêcher de voir l’inefficacité de la police, le fait que les plaintes ne soient pas instruites, le fait que les femmes ne soient pas protégées. »
De nombreuses questions se posent, en particulier, comme d’habitude, celle de savoir comment les femmes seront accompagnées ensuite. Et protégées, encore une fois. C’est comme si, à chaque fois, on faisait des propositions, sans envisager leurs conséquences !
Reste encore et toujours l’écart entre la loi et l’application de la loi. Il y a déjà de nombreux dispositifs qui existent comme l’ordonnance de protection mais pas assez appliqués et dans quelles conditions et délais ? Existe aussi la loi au sujet de « la non assistance à personne en danger ». Combien de fois cette loi n’est pas appliquée ?
Il y a tant et tant de lois non appliquées. En rajouter d’autres couches sans en mesurer les conséquences, c’est encore proposer des solutions qui n’en sont pas.
Et puis, la question du droit à l’oubli….
SUPPRESSION DE L’OBLIGATION ALIMENTAIRE POUR LES ENFANTS DE FEMMES TUEES.
Il était temps. Dont acte.
PREVENTION ET EDUCATION.
« Une priorité » a dit Philippe. En insistant sur le rôle des enseignants. Eux qui, payés au lance pierre doivent déjà gérer tant et tant, de plus en plus, au mépris de la seule fonction qu’ils devraient avoir : enseigner et transmettre.
Cette « priorité », on aurait aimé l’entendre aussi fortement sur d’autres sujets, d’autres corporations (corps de métiers) Or là, on parle de corporatisme (défendre uniquement les intérêts d’une catégorie professionnelle donnée). Les policiers, les gendarmes, pas touche, les enseignants, allez…encore…faites un effort ! Il n’a pas été question de former les parents, pas plus que les élèves….C’est désolant.
De plus, ceci a été présenté comme une nouvelle mesure alors que, comme le rappelle Caroline de Haas : « La formation des professionnel.le.s de l’éducation à la prévention des violences “annoncée” ce jour par Édouard Philippe est prévue depuis 2010. Bientôt dix ans. «
PANEL JURIDIQUE.
Le gouvernement veut se munir d’un panel juridique censé condamner avec force les auteurs de violences. Il propose dans ce cas, d’inscrire dans le code civil, la notion d’emprise conjugale. Ainsi que considérer comme « circonstance aggravante le cas de harcèlement ayant conduit au suicide ». Certes. Mais alors on devine déjà le problème évident qui va se poser : où va se situer le curseur pour déterminer qu’il y a bien eu emprise conjugale, emprise psychologique ? Tout comme reconnaître que le suicide d’une femme est directement lié à l’épuisement moral et physique imposé par le mari ou le compagnon violent ? Quand on sait à quel point on remet en cause la parole des femmes ! On peut toujours annoncer ce genre de mesure, tant que les juges ne seront pas formés, eux-aussi, on se heurtera encore et toujours aux mêmes problèmes. On peut faire un parallèle avec ce jeune homme qui s’est immolé par le feu, laissant une lettre politique pour expliquer son geste s’adressant au Crous et au gouvernement. M. Macron a déclaré que ce geste n’était pas politique, que ce jeune homme avait sans doute un autre problème, que la situation des étudiants en France n’était pas si dramatique……
LE 3919.
Numéro d’écoute national dédié aux femmes victimes de violence. M. Philippe a loué le succès croissant de ce centre d’appel, citant des chiffres. A ajouté qu’il serait désormais accessible 24h/24 et 7 jours/7. Ce qui est primordial puisque certaines femmes sous emprises doivent attendre la nuit pour appeler. De notre côté, au sein de notre collectif et de notre association, nous avons eu énormément de retours de femmes qui n’ont obtenu aucune réponse concrète, aucune aide et qui, exprimant leur désarroi, se sont vues se faire raccrocher au nez. En même temps, en dehors de l’écoute (qui bien-sûr dans un 1er temps, s’avère essentielle), que peut proposer concrètement ce centre, hors certaines explications au sujet des démarches à entreprendre ? Puisque les moyens, les solutions ne sont pas au rendez-vous ? Lorsqu’une femme appelle dans l’urgence absolue pour fuir du domicile avec ses enfants, que peut-on lui proposer ? On annonce une plateforme de géolocalisation des places d’hébergement d’urgence pour les victimes mais on le sait, il n’y a pas ou si peu de structures dédiées à cela ! Au même titre que les Sans abris devaient pouvoir compter sur un numéro d’appel. Au même titre que les chômeurs de Pôle emploi doivent faire acte de présence et d’opiniâtreté là où il est évident qu’il n’y a pas d’offres d’emploi à proposer. Les employés ne cessent de le marteler !
A noter : ce centre d’appel est géré par le collectif FNSF –Fédération nationale solidarité femmes. Or, le gouvernement n’a absolument pas indiqué si les subventions allouées à ce collectif associatif augmenteraient pour financer cette extension des horaires. Et Marlène Schiappa déclarait hier, en marge du discours, que les appels d’offre étaient lancés….et qu’il faudrait peut-être attendre un an pour avoir les résultats….
Il nous semble antinomique de vanter, et ce face à l’incertitude, la parfaite réussite de ce centre d’appel à l’heure des licenciements massifs, de la baisse drastique des subventions des associations, de la fermeture des observatoires…
LE DEPLOIEMENT DU BRACELET ANTI RAPPROCHEMENT.
C’est peut-être la seule mesure approuvée par le plus grand nombre. Prévue par la loi depuis 2017 ( !), il n’avait pas été testé faute de moyens. Question de priorités sans doute…Six millions d’euros devraient être débloqués au début de l’année 2020.
IMPRESSIONS. RESSENTIS. QUESTIONS.
Le budget, le nerf de la guerre
Philippe a annoncé un budget d’un milliard d’euros dédiés à l’égalité entre femmes et homme. Seuls 360 millions d’euros seront alloués à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Et une partie seulement est prévue pour les violences conjugales ! C’est excessivement en deça du milliard qui était réclamé pour la seule cause des violences conjugales. Les moyens financiers ne sont pas à la hauteur de la cause, c’est une évidence. On pense alors par exemple aux 1000 places d’hébergement d’urgence promises au début de ce Grenelle….qui les financera ? On pense aux mesures de formations, d’éducations, de sensibilisations, de prévention…
Finalement, la tactique de ce gouvernement reste toujours la même. On baisse les subventions, les aides, les dotations des associations, on prend donc, puis on en rend mais moins, tout en prétendant agir et aider. On est sur la réattribution de budgets existants, on injecte pas d’argent supplémentaire.
De plus, même si a été évoquée l’importance des soins à apporter aux hommes violents souvent en proie à des problèmes d’alcoolisme par exemple, il nous semble qu’au-delà des lois et des mesures, il faut s’attaquer à la misère sociale et à ce qui en découle : la violence, l’alcool, la prise de stupéfiants, le chômage etc. Respecter et proposer des conditions de vie dignes aux plus fragiles devrait être une priorité, la 1ère mesure à l’égard des femmes. La violence est plurifactorielle, les mesures annoncées n’abordent qu’une partie du problème. La violence sociétale, économique, professionnelle qu’impose le gouvernement est à elle – seule, une grande partie du problème.
Il y a un décalage abyssal entre l’urgence réelle quotidienne et les réponses du gouvernement.
Sur la forme.
Nous constatons, à l’issue de ces annonces que, de nombreuses femmes et les familles ont ressenti ce discours comme « insultant ». Et, sommes forcés de constater que dès sa présentation, sa forme, il pose de nombreuses questions. A commencer par Marlène Schiappa, Mater Dolorosa, toute de noir vêtue, les bras croisés vers le bas, passive, acquiesçant , remuant la tête, alors qu’Edouard Philippe est l’homme qui parle … En matière d’égalité homme / femme, nous aurions imaginé mieux. Quelle caricature. Quelle tristesse, pour elle en 1er lieu. Cette femme qui se dit féministe et qui dans le même temps œuvre pour un gouvernement qui inflige de plein fouet aux mères de familles isolées une casse sociale inédite…
A partir de l’évocation du « fétichisme du chiffre » (expression qui prête d’ailleurs à confusion puisque de nombreuses personnes l’ont associé au compteur des victimes), M. Philippe bafouille, semble beaucoup moins à l’aise, se trompe dans les chiffres, navigue à vue. Sans doute parce qu’il est conscient du caractère très approximatif de ce qu’il annonce. Il cite le cas de L’Espagne, presqu’en dénigrant un pays pourtant pionnier dans la lutte contre les violences faites aux femmes .Ce pays qui lutte depuis 10 ans et a obtenu d’excellents résultats dans le domaine. Ce pays qui a crée un parquet et des tribunaux spécialisés. Les juges y sont spécialement formés aux violences conjugales, disposent de 72 heures au maximum pour instruire un dossier. Il existe en Espagne 106 cours dédiées qui se consacrent exclusivement aux affaires de violences. Pourquoi Edouard Philippe ne peut-il pas simplement féliciter ce pays et ses résultats en la matière ? Au contraire, il déclare « ne pas vouloir rentrer dans des comparaisons stériles »et pourtant, ne peut s’empêcher de le faire. Dans la lignée du président, il faut apparemment se glorifier et s’attribuer tout le mérite.
Les sourires, les private joke , le ton désinvolte sont de trop, indignes de la cause vitale à soutenir.
On finira sur l’évocation des paroles d’une chanson de Bigflo et Oli…que dire ?
Nous sommes également dépités par le ton limite de ce 1er Ministre qui a l’air de découvrir le texte qu’il a à lire. De plus, le ton est moralisateur. Or, les associations qui sont au plus proche de la réalité récoltent des paroles dont on a peine à croire, depuis toutes ces années, qu’elles ne soient pas, à ce point, prises en compte. Elles connaissent la réalité du terrain, les dysfonctionnements évidents, les manquements, les failles. Elles n’ont pas besoin d’un discours moralisateur.
Notre association, l’AFVF, est la première à s’être consacrée à la cause des familles. Et nous sommes navrés de constater que dans un discours de cette importance, il n’y a pas eu une parole pour les victimes et leurs familles. Aucune parole mais aussi aucun acte, aucun projet concret sur le sujet .
Or celles-ci, en plus du drame et du deuil, doivent elles aussi faire face à de très nombreux dysfonctionnements et à une prise en charge quasi inexistante. Nous reviendrons très prochainement, dans un autre article, sur ce sujet.
Une mention, ne serait-ce que courte, de la très forte mobilisation du 23 novembre, réunissant femmes, hommes et familles côte à côte, dans le calme, la dignité et la détermination aurait été la bienvenue en lieu et place de la moralisation. Charité bien ordonnée commence par soi-même dit-on.
« Nous pouvons changer les comportements, nous allons le faire ! » a déclaré Edouard Philippe ? En ce qui nous concerne, nous pensons qu’il va nous falloir reprendre les marches et les pancartes….
Manu Jam- Noël Agossa. Pour le collectif PJC et l’AFVF.
Le 26 novembre 2019.
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