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A défaut de fortifier la justice, on a justifié la violence

« A défaut de fortifier la justice, on a justifié la violence », lu sur un mur, près des quais de Seine.

Aujourd’hui, nous avons de la peine pour les femmes de ce pays. Ce pays des droits de l’Homme qui bafoue celui de femmes MASSACRÉES.


Aïssatou Sow avait 21 ans lorsque son ex petit-ami l’a battue à mort et l’a achevée à coups de pied dans la tête, la laissant pour morte aux pieds de l’ascenseur du 3ème étage de sa résidence à Valenton (94). Âgé de 19 ans et demi ans à l’époque des faits, il avait été champion de kick boxing minime, bon footballeur et savait mieux que personne où se trouvaient les organes vitaux. Il n’appellera pas les secours et attendra 25 minutes avant de dire à la sœur de la victime qu’il a tué Aïssatou et qu’elle se trouve au 3ème étage.

Après avoir commis son crime, il rentre chez lui, fume et s'endort.

En novembre 2020, le criminel a été jugé en première instance et a écopé d’une peine de 25 ans de réclusion criminelle assortie de 22 ans de sûreté. Si la Cour n’a pas retenu le caractère prémédité de ce crime, elle a reconnu le meurtre. L’auteur du féminicide d’Aïssatou Sow a fait appel de cette décision de justice – après avoir pris soin de menacer la famille de la victime.

Le 15 février 2022, s’ouvrait alors le procès en appel, obligeant la famille et les amies d’Aïssatou à revivre un véritable cauchemar et à entendre des horreurs supplémentaires insultant non seulement la mémoire d’Aïssatou, mais aussi celle de toutes les femmes victimes de violences ou tombées sous les coups de leur conjoint ou ex.


La défense, qui n’avait manifestement rien à se mettre sous la dent, a orienté son discours en faveur d’un crime passionnel, sans le nommer. De qui se moque-t-on ? Tout au long du procès, on pouvait ainsi entendre parler d’amour, de passion, de tristesse, de regrets, misant tantôt sur une infidélité potentielle de la part d’Aïssatou, tantôt sur les stéréotypes liés aux quartiers populaires et une certaine banalisation de la violence. Une véritable honte.


Nous nous sommes alors demandés de qui faisions-nous le procès. Nous n'avions guère le sentiment de nous trouver dans une Cour d'assises, mais plutôt dans un tribunal correctionnel aux allures de cour de récréation en maternelle. Car la justice n'était manifestement pas au niveau.

Aïssatou vivait constamment dans la peur, n’osait plus rentrer seule chez elle si elle portait des bottines à talons : elle savait ce qu’elle encourait. Elle était sur le qui-vive perpétuel. Elle commençait à échapper à cet homme qui menaçait continuellement de s’en prendre à elle, de lui ôter la vie. Elle risquait sa vie chaque fois qu’elle voulait la vivre. Elle était solaire, intelligente, généreuse. Elle aimait les enfants, tresser les cheveux des femmes de sa famille, sortir avec ses amies qu’elle considérait comme ses sœurs et rêvait de voyager à travers le monde.


En état d'hypervigilance perpétuelle, Aïssatou tentait de cacher au maximum ce continuum de violences qu’elle subissait aux derniers instants de sa vie et dissimulait ses hématomes ainsi que son visage tuméfié en portant des lunettes ou du maquillage. Elle était sous emprise, et malgré plusieurs mains courantes, l'État, dans toute sa défaillance et ses dysfonctionnements, ne s’est pas saisi de l’urgence de la menace qui pesait sur elle.

Aïssatou est décédée à l'hôpital des suites d’une pneumopathie sévère liée à un traumatisme crânien, conséquence directe d'un acharnement de violences à son égard, et sur un organe évidemment vital.


Il avait juré de la tuer, dans une vidéo où on le voit manipuler les cartouches d'une arme : « Au nom d’Allah, je vais te tuer ». Il avait juré de la tuer, et il l’a fait.

En prison, il n’a pas cessé ses menaces, ses insultes, ses pressions à l’égard des proches d’Aïssatou et témoins clefs. Par ailleurs, certaines captures d’écran qui auraient pu être exploitées lors du procès en appel ne l’ont pas été. Nous rappelons que certaines amies d'Aïssatou ont été passées à tabac.


Lors du procès, la présidente fait état des différentes condamnations auxquelles l'accusé s'expose :


1. Violences ayant entrainé la mort sans intention de la donner

2. Meurtre, impliquant le caractère intentionnel du crime

3. Assassinat, impliquant la préméditation, la formation du dessein criminel.


L'avocat général requiert alors une peine de 20 ans de prison pour assassinat. Le caractère prémédité de l’acte commis avait alors été mentionné.

Et pourtant…

Après 7 longues heures de délibéré, le verdict tombe : l’accusé est condamné à 18 ans de prison – dont deux tiers de sureté – pour « violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner » avec « préméditation » (?!). Soit le stade le plus bas de condamnation. Sidération. Stupéfaction. Incompréhension. Verdict indigeste : on a décriminalisé l'homme qui a enlevé la vie à une jeune femme qui l’avait devant elle.


Comment la justice peut-elle régresser à ce point ? Comment nier le caractère intentionnel et prémédité du crime après des menaces de mort, des coups de pied dans les zones vitales avec un criminel qui s'enfuit sans appeler les secours, puis s'endort ?

Si aucune peine ne saurait faire revenir Aïssatou, quel message envoie-t-on aux femmes de ce pays aujourd'hui ? Quel message envoie-t-on aux auteurs de violences et de féminicides ?

Car s’il s’agit précisément d’un féminicide, pour la défense, évoquer cela renverrait à du « lobbying » censé faire pression sur la Cour !

Et pourtant ! Aïssatou a bien été tuée parce que c’est une femme : parce qu’elle était femme, elle n’avait pas le droit de s’habiller comme elle le voulait, devait renoncer à être coquette, à sortir, à danser auprès de ses amies en soirée, sous peine d’être violentée, puis tuée. Aïssatou a subi des violences sexistes et systémiques, s’inscrivant dans une logique de domination masculine cruelle et inhumaine. Aïssatou a bien été victime de Féminicide.

Nous ne voulons pas d’un monde où naître femme implique potentiellement d’être victime de violences et de féminicides. Nous ne voulons pas d’un monde qui banalise et justifie la violence, voue un culte à un virilisme destructeur et qui nie le terrorisme patriarcal qui s’exerce sur les femmes dans toutes les sphères de la société et dans tout milieu socio-culturel.


Malgré un contexte pseudo favorable à l’évolution de lalibération de la parole liées aux violences faites aux femmes, la justice ne cesse de régresser et l'État ne cesse de dysfonctionner. Car voyez-vous, « le doute profite à l’accusé » et il faut minimiser la sentence au regard de la jeunesse de ce dernier. La justice a déqualifié la force du crime, infligeant une peine supplémentaire – à perpétuité – aux proches de la victime.

Indigeste.

Appel à la mobilisation des associations et familles de victimes de féminicides à l’occasion du 8 mars 2022 Le 8 mars prochain, aura lieu la journée internationale pour les droits des femmes. Cette journée sera spéciale pour l’Association des Familles de Victimes de Féminicides. Plus que jamais, nous nous battrons pour que la société et les pouvoirs publics se saisissent de l’urgence de cette cause, dans un contexte où les droits des femmes demeurent constamment bafoués.

Pour Aïssatou, et toutes les autres.



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